Loi “Sécurité dans les transports” : le Conseil constitutionnel encadre – mais ne bloque pas – l’extension des pouvoirs des agents privés

Par sa décision n° 2025-878 DC du 24 avril 2025, le Conseil constitutionnel a jugé pour l’essentiel conforme à la Constitution la loi « relative au renforcement de la sûreté dans les transports » ; il n’a retoqué que certaines dispositions marginales, ouvrant ainsi la voie à une montée en puissance des agents de sécurité privée (Suge, GPSR et prestataires) dans les réseaux ferrés et urbains.
Le recours, porté par plus de soixante députés, dénonçait pourtant une « délégation de compétences de police administrative générale » contraire à l’article 12 de la DDHC, des atteintes à la vie privée (fouilles, vidéosurveillance) et à la liberté d’aller et venir . Le Conseil a finalement considéré que ces griefs ne justifiaient pas une censure globale, dès lors que le législateur a prévu un encadrement suffisant – sous réserve, toutefois, de garanties à préciser par décret.
Quelles prérogatives nouvelles ?
Inspection visuelle, fouille des bagages et palpations par les agents Suge/GPSR
- Base légale : articles 1ᵉʳ et L. 613-2 CSI (extension à l’ensemble du réseau)
- À prévoir : actualiser les protocoles de contrôle et les notices d’information voyageurs
Confiscation d’objets dangereux et refus d’accès en cas d’opposition
- Base légale : articles 1ᵉʳ et 2 bis
- À prévoir : créer une chaîne de conservation des objets saisis et un registre des refus
Intervention sur la voie publique – abords immédiats des gares – et verbalisation de la vente à la sauvette
- Base légale : article 2
- À prévoir : former les agents à la police des édifices publics et à la rédaction de PV
Visionnage en temps réel des caméras par les agents d’Île-de-France Mobilités
- Base légale : article 7
- À prévoir : habilitation CNIL, traçabilité des accès et formation renforcée « données personnelles »
Ligne rouge posée par le Conseil : aucune contrainte physique n’est possible – éviction d’un voyageur oui, immobilisation non. Un décret en Conseil d’État devra préciser le modus operandi, notamment la formation spécifique et les garanties de contrôle.
Lecture juridique : ce que décide vraiment la décision 878 DC
- Délégation de pouvoirs : le Conseil rappelle que la délégation à des personnes privées n’est admissible que pour des compétences techniques détachables, sous le contrôle permanent d’une autorité publique. Il valide la délégation car le texte subordonne chaque mesure au consentement, assorti du pouvoir – et non de l’obligation – de refuser l’accès.
- Principe de proportionnalité : la loi, lue à la lumière de la décision, impose un triple filtre – circonstances particulières, absence d’alternative moins intrusive, traçabilité – pour chaque fouille ou palpation.
- Vie privée / vidéosurveillance : la décision entérine l’accès en temps réel, mais renvoie expressément à un décret CNIL-compatible pour les garanties (durée de conservation, nombre d’agents habilités, audit a posteriori).
- Liberté d’aller et venir : le pouvoir de refus d’accès n’est pas jugé excessif dès lors qu’il ne s’accompagne pas d’une contrainte physique et qu’il est limité aux besoins immédiats de la sûreté.
Points de vigilance pour les opérateurs, prestataires et leurs conseils
- Matrice de conformité : cartographier, pour chaque site, les zones d’intervention désormais autorisées hors emprise ferroviaire et les procédures associées (gestion de la preuve, signalétique, recours interne).
- Formation et contrôle : intégrer au plan annuel de formation une séquence “fouille & palpation” adossée à la jurisprudence constitutionnelle, et prévoir un audit interne avant la publication du décret pour anticiper ses exigences.
- Vie privée / RGPD : avant toute mise en service des dispositifs vidéo, déposer un PIA (analyse d’impact) et documenter la base légale (mission d’intérêt public) ainsi que les durées de conservation.
Prochaines étapes
- Décret d’application attendu d’ici 3 mois : il précisera le contenu minimal des formations, les modalités de traçabilité vidéo et les seuils de compétence pour le refus d’accès.
- Lignes directrices CNIL (probablement un avis publié) : à suivre pour sécuriser les flux vidéo et audio.
- Mise en service opérationnelle : les opérateurs devront avoir achevé leurs mises à jour documentaires et techniques au plus tard six mois après la parution du décret, sous peine de suspension d’agrément.
À retenir
Pour les acteurs du secteur et leurs conseils, la décision du Conseil constitutionnel est moins une révolution qu’un feu vert vigilant : le législateur obtient l’extension recherchée, mais le Conseil constitutionnel rappelle que l’externalisation de la force publique reste une exception strictement contrôlée. La balle est désormais dans le camp des décrets – et, inévitablement, des juges du fond lorsque surgiront les premiers litiges.
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