Refus de carte professionnelle d'agent de sécurité : le rappel à la loi insuffisant

Un rappel à la loi peut-il, à lui seul, justifier le refus d’une carte professionnelle d’agent de sécurité privée lorsque l’intéressé conteste fermement les faits reprochés ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour administrative d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 27 juin 2025 (n° 23BX01393). La Cour répond par la négative : un rappel à la loi, mesure dépourvue d’autorité de chose jugée, ne peut suffire à lui seul à justifier un refus de carte professionnelle lorsque les faits sont contestés par l’intéressé, en l’absence d’autres éléments probants. Cette décision apporte ainsi une clarification importante pour les agents de sécurité privée et le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) en matière d’enquête de moralité et de prise en compte d’antécédents non sanctionnés pénalement.
La réponse apportée par la CAA de Bordeaux
La Cour administrative d’appel de Bordeaux était saisie du cas d’un agent de sécurité s’étant vu refuser sa carte professionnelle par le CNAPS au motif qu’il avait fait l’objet, en 2020, d’un rappel à la loi pour des faits de violences volontaires en réunion avec arme commis en 2017. L’agent contestait formellement avoir commis ces violences. Le CNAPS soutenait, de son côté, que le rappel à la loi – mesure alternative aux poursuites prévue par le code de procédure pénale – établissait la réalité des faits.
La cour a donné raison à l’agent de sécurité. Elle rappelle qu’un rappel à la loi n’a pas la valeur d’un jugement : c’est une mesure de procédure pénale dépourvue de l’autorité de la chose jugée, qui ne constitue pas en soi une preuve de la réalité des faits reprochés ni de la culpabilité de la personne visée. Autrement dit, ce simple avertissement du procureur ne suffit pas à considérer les faits comme établis, surtout lorsque l’intéressé les conteste formellement. Or, dans l’affaire jugée, le requérant avait certes « pris acte » de la notification du rappel à la loi, mais il avait ensuite nié devant le juge administratif avoir commis ces violences, et aucun élément probant n’était versé au dossier par le CNAPS pour corroborer la mise en cause. Dans ces conditions, la cour estime que l’administration a fondé son refus de délivrer la carte professionnelle sur des faits matériellement inexacts, faute de preuve suffisante. Le motif tiré de l’incompatibilité du comportement de l’agent avec la profession de sécurité privée se trouvait donc entaché d’erreur d’appréciation, justifiant l’annulation du refus.
Le rappel à la loi : une mesure sans condamnation qui ne préjuge pas de la culpabilité
Pour bien comprendre la portée de cette décision, il faut rappeler ce qu’est un rappel à la loi. Il s’agit d’une mesure alternative aux poursuites que le procureur de la République peut décider de mettre en œuvre, au lieu de faire juger le mis en cause. Concrètement, au lieu d’engager un procès, le procureur « rappelle » simplement à l’auteur présumé d’une infraction les obligations résultant de la loi, par la remise d'un document officiel par un officier de police judiciaire. Cette mesure intervient souvent pour des faits jugés peu graves ou lorsqu’il s’agit d’une première mise en cause, et elle peut viser à apaiser le trouble causé par l’infraction ou à favoriser l’amendement de l’intéressé. Toutefois, le rappel à la loi n’est pas une condamnation : il n’y a ni juge, ni reconnaissance judiciaire de culpabilité.
En droit administratif, il est constant que l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’attache qu’aux décisions des juridictions de jugement ayant statué sur le fond. Un rappel à la loi, qui intervient sans jugement, n’a donc pas cette force obligatoire. La jurisprudence administrative considère de longue date que les faits constatés par le procureur lors d’une mesure alternative ne lient ni l’administration, ni le juge administratif. Il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’apprécier si les faits sont suffisamment établis et s’ils justifient une décision défavorable.
L’arrêt de la CAA de Bordeaux s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle protectrice : il faut des éléments concrets pour prouver le comportement reproché lorsque l’intéressé le conteste.
Conséquences pour les agents de sécurité privée et le CNAPS
Pour les professionnels de la sécurité privée, cette décision de la CAA de Bordeaux est rassurante. Elle signifie que leur autorisation d’exercer ne pourra pas être refusée ou retirée sur la seule base d’une accusation non vérifiée ayant abouti à un rappel à la loi, surtout s’ils n’ont jamais été condamnés et qu’ils nient les faits. Autrement dit, un agent de sécurité mis en cause dans une affaire pénale mais non poursuivi avec un rappel à la loi, garde toutes ses chances d’obtenir ou de conserver sa carte professionnelle, dès lors qu’aucune preuve tangible ne vient confirmer les faits reprochés. En cas de décision négative du CNAPS appuyée sur de tels éléments fragiles, l’agent aura intérêt à exercer un recours en soulignant l’absence de base légale solide.
Pour le CNAPS et les autorités administratives en général, l’arrêt impose une obligation de rigueur dans l’instruction des dossiers. Le CNAPS doit bien sûr veiller à la moralité des candidats (conformément aux dispositions du code de la sécurité intérieure), et il est en droit d’examiner des faits même non sanctionnés pénalement pour apprécier la probité et le comportement d’un demandeur.
Néanmoins, cette appréciation doit reposer sur des
éléments objectifs et circonstanciés. Si un candidat a été mis en cause pour des faits graves (violences, vols, etc.), le CNAPS devra idéalement disposer de pièces établissant la réalité de ces faits : par exemple un procès-verbal détaillé, des témoignages crédibles, ou encore des
aveux ou éléments non contestés par l’intéressé. À défaut, s’il ne s’agit que d’une mention au TAJ pour une mise en cause ayant abouti à un rappel à la loi sans autre preuve, le risque est grand qu’un juge considère la décision de refus comme infondée. En somme,
le CNAPS doit concilier sa mission de protection du public avec le respect des droits des agents de sécurité, en s’assurant de ne pas « punir » un candidat sur de simples soupçons.
Une portée désormais limitée : disparition du rappel à la loi
Il convient toutefois de souligner que cette jurisprudence, bien qu'importante, a une portée limitée dans le temps. En effet, le rappel à la loi a été supprimé depuis le 1er janvier 2023, en application de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Il a été remplacé par l’avertissement pénal probatoire, une nouvelle mesure alternative aux poursuites. Contrairement au rappel à la loi, ce mécanisme nécessite une reconnaissance expresse de culpabilité de la part de la personne mise en cause, condition préalable à sa mise en œuvre.
Dès lors, l’enseignement de l’arrêt de la CAA de Bordeaux ne saurait être transposé aux situations dans lesquelles l’administration fonderait une décision de refus sur un avertissement pénal probatoire. Dans ce cas, la reconnaissance des faits prive l’intéressé de la possibilité de contester leur matérialité, ce qui modifie fondamentalement l’appréciation que peut en faire le juge administratif.
https://justice.pappers.fr/decision/d685a09c4e77702b49f778f829c4548de421e2fd
Partager l'article
A propos de Maître CHAVKHALOV
Vous êtes agent de sécurité et avez des difficultés avec le CNAPS ? En tant qu’avocat expérimenté en droit de la sécurité privée, j’accompagne les professionnels de ce secteur dans leurs recours et démarches face au CNAPS. Que ce soit pour contester une décision ou obtenir des conseils personnalisés, je suis là pour défendre vos droits. N'hésitez pas à me contacter pour un accompagnement adapté à votre situation.










